
André Laurendeau est né en 1912. C’était un grand leader et un visionnaire. Il a été ce qu’on peut qualifier d’intellectuel polyvalent : politicien pendant la Deuxième Guerre mondiale (cofondateur du Bloc Populaire en 1942); journaliste au journal Le Devoir, dont il a été le rédacteur en chef, après Omer Héroux; chroniqueur pour Le magazine Maclean. Au cours de sa carrière, il a écrit environ 3 000 articles. En plus d’avoir animé des émissions de radio et de télévision, il a écrit bon nombre de livres : des souvenirs, un roman et plusieurs pièces de théâtre. Ne l’ayant pas connu, ni lui, ni son époque, je désire rencontrer des gens qui ont eu la chance de le faire, afin de mieux le cerner et d’en esquisser un portrait plus juste et réaliste.
Jean Coutu, est né, quant à lui, en 1927, juste avant la grande crise économique. Une quinzaine d’années les sépare donc. Même s’il n’a jamais rencontré personnellement André Laurendeau, il a bien connu son époque, d’où l’intérêt de son témoignage.
Jean Coutu est, par sa mère, Germaine Laurendeau, imbriqué dans l’arbre généalogique des Laurendeau, ce qui en fait un intervenant d’autant plus intéressant à rencontrer. Sa mère était la fille de Rémus, oncle paternel d’André Laurendeau. C’est à ce titre que Jean Coutu accepte très généreusement de m’accorder son temps, afin de faire un portrait d’André Laurendeau, grand-père que je n’ai jamais connu.
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André Laurendeau, dans sa prime jeunesse, a été souverainiste, avant d’opter pour le fédéralisme. Avec Maxime Raymond, il fonde le Bloc populaire canadien en septembre 1942, un parti nationaliste, pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Jean Coutu rappelle, du même coup, l’importance de la famille Raymond. Alphonse Raymond, père de Maxime, était le fondateur d’une usine spécialisée dans la production de confitures. Aujourd’hui, l’espace où étaient installés l’entrepôt et différents éléments de l’usine a été rebaptisé « Usine C », et est devenu un endroit de création en théâtre.
Le Bloc populaire canadien avait des représentants à la fois au niveau fédéral (le chef était Maxime Raymond) et au niveau provincial (le chef était André Laurendeau). Ce parti politique avait été fondé, au départ, pour lutter contre la conscription obligatoire. Ainsi, les partisans du Bloc trouvaient que les Canadiens fournissaient déjà assez d’aide aux pays en guerre, pour ne pas avoir à rendre la participation de ses citoyens obligatoire pour l’effort de guerre.
Jean Coutu, parmi ses premières activités étudiantes, a travaillé pour ce parti politique.
Celui-ci fonctionne sur un mode différent des autres grands partis de l’époque, pour son financement. Il compte sur l’aide de bénévoles et sur les campagnes de souscription pour attirer de nouveaux membres, et sur les dons de ces derniers. C’est une nouvelle façon de faire la politique. Les autres partis, beaucoup plus riches, obtiennent leur financement de grands donateurs.
Pour faire connaître les idées du Bloc populaire canadien, André Laurendeau anime, à la radio, une chronique hebdomadaire diffusée sur le poste de radio CKAC (à Montréal) et sur le poste de radio CHRC (à Québec), où il traite de grands événements nationaux et internationaux. André Laurendeau, selon Monsieur Coutu, ne parle pas beaucoup d’économie. Jean Coutu rappelle que c’est normal, pour l’époque. Les francophones n’étaient pas très formés dans ce domaine. Pour les anglophones, c’était une réalité importante. Les francophones qui avaient, par ailleurs, atteint l’équivalent du secondaire, ou qui s’étaient rendus encore plus loin dans leurs études, étaient rares. Il ne faut donc pas s’étonner que l’économie soit en grande partie contrôlée, à l’époque, par des anglophones. Quelques autodidactes francophones ont réussi à faire fortune. Toutefois, lors de la crise économique, l’absence d’études adéquates faisait la différence entre ceux qui réussissaient à se relever et ceux qui restaient dans la pauvreté.
André Laurendeau a eu la chance de poursuivre des études supérieures. Jean Coutu rappelle l’origine familiale de celui-ci. Arthur Laurendeau, son père, était un musicien : maître de chapelle. Sa mère, Blanche Hardy, était aussi musicienne : pianiste. Arthur chantait du haut du jubé à l’église. Selon Jean Coutu, celui-ci était un timide, qui n’aimait pas du tout chanter devant un public.
André Laurendeau tient de ses parents le goût pour les arts et les lettres. Il est avant tout, selon Jean Coutu, un homme de lettres. C’est un grand journaliste, un écrivain, un animateur de télévision doué. Il a une émission de télévision : « Pays et merveilles ». Il a aussi été l’auteur des textes d’une émission de radio, « Voyage aux pays de l’enfance ». Un livre, écrit par André Laurendeau, porte le titre de cette dernière émission.
Jean Coutu signale qu’André Laurendeau n’avait pas beaucoup d’éloquence à l’oral, mais que c’était un grand pédagogue. Il entend par là que celui-ci était doué pour donner à la personne qui écoutait son émission l’impression qu’elle connaissait déjà ce qu’il racontait, même si le sujet était nouveau pour elle.
À l’époque, les émissions étaient enregistrées sur des bandes magnétiques. Comme ces bandes coûtaient cher, elles étaient souvent réutilisées pour d’autres émissions. Du coup, les archives télévisées d’André Laurendeau sont très rares aujourd’hui.
André Laurendeau était au nombre de grands intellectuels qui ont provoqué de grands changements – la Révolution tranquille. Cette révolution, amorcée en 1960, s’est faite aussi de l’intérieur de l’église catholique. Jean Coutu rappelle que, s’il ne faut pas nier les horreurs sexuelles perpétrées par les prêtres, il ne faut pas oublier que de nombreux prêtres, qui n’ont rien à voir avec ces méfaits, ont fait avancer le Québec. Ces prêtres, souvent, étaient de grands enseignants. Le Québec d’aujourd’hui a été forgé en grande partie par cet enseignement.
Jean Coutu insiste : il faudrait que les jeunes soient davantage, encore aujourd’hui, formés aux notions économiques et entrepreneuriales.
André Laurendeau a participé à la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. C’est alors qu’en mai 1968, en plein travail, il a été terrassé par une rupture d’anévrisme au cerveau qui l’a emporté quelques jours plus tard. Il y a donc 50 ans, cette année, qu’il est décédé.
André Laurendeau était avant-gardiste dans sa façon de voir le monde. Grand intellectuel, il laisse plus de traces dans son sillage qu’on pourrait le croire : bilinguisme dans les institutions fédérales, importance accordée à l’éducation et à la démocratisation de l’enseignement au Québec, foi dans la démocratie et dans la liberté d’expression.
Merci, Monsieur Coutu, pour ce portrait d’André Laurendeau et cet éclairage original que vous apportez sur son époque.
Sophie Gervais-Laurendeau
18 novembre 2018
Ce témoignage va être utilisé en partie pour la rédaction d’une anthologie commentée d’articles écrits par André Laurendeau.
Suggestion de lectures:
Sans prescription ni ordonnance, de Jean Coutu.
*Notez que vous pouvez acheter le livre en cliquant sur les liens ci-haut. Si vous n’avez pas le budget pour l’acheter, n’hésitez pas à vérifier s’il est disponible à la bibliothèque de votre quartier.